ANTHOLOGIE SUBJECTIVE oeuvre de CHARLES JULIET | 02.08.2024 | TE REJOINDRE p.66-69 | 2015
02/08/2024
[…]
Je t'ai cherchée
Je n’avais pas huit ans
Tu es apparue ce jour de juillet
où j’ai appris ta mort
Avant ce jour
J’ignorais que tu existais
J’avais une maman
qui m’aimait et que j’aimais
et rien ne me laissait
soupçonner que j’avais
une autre mère
Puis en quelques mots
On m’a appris ton décès
Je crois bien qu’à cet instant
je n’ai rien éprouvé
On ne peut ressentir
de la peine
en apprenant la mort
d’une inconnue
Mais je me souviens
de ce qui a suivi
Debout sur le trottoir
devant la maison
j’ai une conscience aigüe
de ce qui m’entoure
Le vieux cep qui grimpe
le long du mur
les feuilles de la treille
bleuies par le sulfate
les troncs d’arbres empilés
devant le grillage du jardin
la cour le portail
le tas de fumier
sur la fosse à purin
la porte de l’étable
l’arrière-train d’une vache
couchée sur un lit de paille
Le soleil cogne
et je reste là
ahuri hébété
ne sachant trop
ce qui m’arrive
Un étau me serre
les tempes la gorge
et je me sens vide
Vide et affreusement las
Le temps s’est arrêté
Rien ne rompt le silence
l’immobilité des choses
la torpeur de l’après-midi
Depuis ce jour
Je n’ai jamais aimé
le noir de l’été
Tu es cette mère que j’ai perdue
Mais comment croire
que la mort
ait pu t’emporter
Dressée dans mon regard
ou rôdant dans ma tête
tu ne me quittais pas
Pourtant tu étais l’absente
Une absente si présente
que forcément
un jour ou l’autre
tu allais apparaître
Alors je t’ai attendue
Tu me parlais à voix basse
Et le temps ne pesait pas
Je t’ai attendue
mais tu n’as pas paru
Alors je t’ai cherchée
Cette inconnue qui marchait
devant moi dans la rue
je la suivais
certain qu’elle était toi
Mais c’était à chaque fois
la déception de découvrir
que jamais son visage
n’était le tien
Partout je t’ai cherchée
Dans les bars dans les rues
dans les gares dans les trains
sur les plages et dans les ports
Partout je t’ai cherchée
Et je te cherche encore
Tu es cette morte
qui n’a cessé
d’enténébrer ma vie
CHARLES JULIET, TE REJOINDRE,
Editions Atelier des Grames, 2015
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